Présentation
La musique caribéenne fait danser le monde entier sous des rythmes entraînants. Ainsi soca, reggae, salsa, zouk, merengue, bachata et autres dancehall sont diffusés dans les radios du monde entier. Comment ce si petit archipel a-t-il su imposer sa musique au monde entier ? Peut-on qualifier la Caraïbe de berceau musical mondial ? C'est ce que nous allons traiter dans ce dossier consacré aux musiques caribéennes et leurs influences dans la musique martiniquaise.
1- Histoire de la musique amérindienne
Eh oui, la musique n'est pas née qu'au 20ème siècle avec les rythmes contemporains que nous connaissons ! Du temps des Arawaks/Tainos, la musique occupait une place primordiale dans la vie à l'époque. Elle était au cœur des rituels quotidiens. Ces derniers avaient leurs propres instruments et dansaient souvent au cours de cérémonies populaires. JB Labat, missionnaire français du 17ème siècle, décrivait la passion pour la danse des martiniquais. Il a notamment dessiné les danseurs arawaks.
La musique avait différentes fonctions dans la société, elle servait d’instrument de mémoire – pour raconter et se rappeler leur histoire -, elle était mobilisée pendant les fêtes et évènements, elle avait une fonction médicinale, et enfin une fonction symbolique au cours des rituels : elle permettait notamment de se protéger contre les sorts et tempêtes de Mère Nature, à provoquer la pluie pour obtenir des récoltes fructueuses, ainsi qu’à communiquer avec les guides spirituels, les zemis.
Cependant, nous pouvons seulement deviner la forme de musique des Tainos parce les chroniqueurs espagnols n'ont pas laissé beaucoup de détails. Elle était en général très simple et monophonique ce qui signifie qu'elle contenait une seule ligne qui descend son ton. Il n'y avait pas beaucoup d'harmonies, souvent les chansons se déroulaient entre un leader ou soliste et un chœur, le chœur chantant dans la même ligne mélodique.
Fray Ramón Pané, un moine catalan de l'Ordre de Saint-Jérôme qui a accompagné Christophe Colomb lors de son deuxième voyage, a été le premier à étudier la langue arawak et a rédigé un livre sur la civilisation arawak (Relación acerca de las antigüedades de los indios, Relation sur les antiquités des Indiens). Il y décrit un instrument à percussion appelé « mayohavau » que les Arawaks utilisaient durant leurs rituels religieux. Il était fabriqué de bois fin et avait la forme d'une calebasse allongée. Il mesurait jusqu'à un mètre de long et un demi-mètre de large. Le son produit par cet instrument était entendu sur une distance pouvant aller jusqu'à 7,5m, il était joué par les chefs de la tribu. Il accompagnait les chansons qui étaient utilisées pour transmettre les coutumes et les lois aux jeunes générations.
Les chants mythologiques « areitos » étaient chantés pendant que des danseurs pouvant atteindre un millier se déplaçaient selon les battements d'un instrument à percussion fabriqués à partir de gourde, les güiros. Les areitos n'étaient pas que des chants, c'était aussi des danses dans une cérémonie que l'on pouvait qualifier de socio-religieuse. Des flûtes, faites de conques ou de roseaux étaient aussi visibles au cours des célébrations musicales, de même que le maracas (sorte de cha-cha), instrument différent de celui que nous voyons aujourd'hui.
Ces cérémonies ont été interdites après la conquête espagnole. Cela a causé la perte de la plupart des instruments et artefacts musicaux de la période Arawak. Ceux-ci n'ont survécu à la période coloniale qu'en étant cachés dans des grottes et autres cachettes, à Puerto Rico par exemple.
2 - Musiques venues d'Europe lors de la colonisation
La Caraïbe est un archipel dont la population provient des différentes vagues d'immigration qui ont fait sa population telle que nous la connaissons actuellement. Les Européens arrivent dans la Caraïbe dès la fin du 15ème siècle suite aux voyages de Christophe Colomb. Cette partie du monde connue sous le nom d'Indes Occidentales dans le monde européen suscitaient les convoitises des grandes nations coloniales. Elles y voyaient un moyen de s'enrichir en produisant des produits exotiques (café, cacao, sucre de canne, rhum) pour les marchés européens.
Aussi les Britanniques, Français, Espagnols et Néerlandais s'affrontent pour prendre la possession des îles de la Caraïbe. Par la suite, ils feront venir des esclaves prélevés d'Afrique pour servir aux travaux des champs. Cette société devient très hiérarchisée entre le Blanc colon, possesseur des richesses, et au dernier grade l'esclave. Les modèles, les codes, us et coutumes des Blancs étaient vus comme signe de prestige alors que ceux des esclaves étaient barbarisées.
La musique occupait une place importante dans la société coloniale. La musique religieuse et la musique militaires étaient les symboles du pouvoir de la classe dominante (musique de cour, de danse) ceux de sa puissance, sa supériorité en même temps qu'un élément de hiérarchie interne.
3 - Musiques venues d'Afrique lors de la colonisation
Arrivés d'Afrique à partir du 17ème siècle, les esclaves étaient une main d'œuvre servile dans les plantations des différentes îles. Ils arrivent dans la Caraïbe avec leur culture, musique, instruments, chants et danses...
La musique des esclaves tout en étant un des moteurs de l'économie sucrière, était un facteur de paix sociale. Cependant, l'Église réprimait fortement les rassemblements où les esclaves s'adonnaient à des danses et des chants car elle y voyait des célébrations en l'honneur des dieux païens alors que les maîtres eux les considéraient comme un moyen de préparer des complots contre eux et des rebellions futures.
A- Les instruments de musique
De très nombreuses musiques que nous appelons aujourd'hui musique traditionnelle des différentes îles sont venues d'Afrique, ce sont majoritairement des musiques à base d'instruments à percussion, le chacha (sorte de maracas) et le tibwa (instrument formé de deux baguettes de bois qu'on frappe sur l'arrière du tambour ou un morceau de bambou).
Le tambour
Le tambour était un instrument emblématique des esclaves. Il y avait deux sortes de tambours avec des tailles et des usages différents. L'un était plus grave et chargé de donner une pédale rythmique plus longue et l'autre plus aigu destiné à évoluer rapidement selon des formules répétées ou non.
Ces tambours étaient fabriqués avec des tonneaux, des bambous creux mais rien n'est dit sur la manière d'attacher les peaux. Le musicien était assis sur son tambour. Cette vision semble proche de celle que l'on a actuellement sur les « tambouyés » (joueurs de tambour) de bèlè martiniquais ou de gwoka guadeloupéen.
Le banza
Le banza est un luth originaire d'Afrique qui a été introduit aux États-Unis par les esclaves. Il est placé au premier plan dans les rencontres culturelles les musiciens africains et européens et a ouvert la voix aux musiques afro-américaines (blues, ragtime, jazz, ryth & blues, rock& roll et hip hop). Il a accompagné la plupart des musiques populaires américaines depuis la deuxième moitié du 19ème siècle. Le banza a disparu sous cette forme aujourd'hui, il a donné par évolution le banjo dont le nom dérive du banza.
L'anzarka
Autre instrument à cordes venu d’Afrique, l'anzarka ressemblait à une guitare. On le retrouvait souvent dans les moments festifs dans les quartiers des Noirs des cases de la plantation.
B- Les chants et les danses
L'importance de la musique
Le dimanche était la journée de repos des esclaves, ils avaient quartier libre et pouvaient consacrer leur temps à ce qu'ils souhaitaient faire comme activité. Ils aimaient se retrouver dans des réunions festives où ils chantaient et dansaient comme l'illustre la peinture attribuée à Augustin de Brunias (1730-1796), un peintre italien mort sur l'île de la Dominique après avoir vécu trente ans aux Antilles. Ces moments joyeux leur rappelaient leur Afrique dont ils avaient été arrachés pour travailler dans les plantations aux Antilles.
Généralement, les femmes ne jouaient pas d'instrument. Cette tâche était le plus souvent réservé aux hommes, les femmes, quant à elles, chantaient. Aux chœurs d'une ou deux chanteuse(s) principale(s) à la voix éclatante improvisant des chansons répondaient d'autres chanteuses, des danseurs, tambours et autres guitares.
Les chants et les danses étaient présents à chaque instant de la vie des esclaves. Même lors de moments plus tristes comme les cérémonies funéraires, la musique était présente.
Danse des esclaves
Lors des travaux des champs les hommes opéraient une danse en communion, ce que l'on appelle aujourd'hui le « koudmen ». Le koudmen est une forme de danse où les travailleurs bêchent la terre en faisant un pas de danse à chaque battement de tambour.
Concernant les danses, elles étaient nombreuses mais c'étaient souvent les mêmes rythmes que l'on retrouvait d'une île à l'autre. La première personne à avoir mentionné les danses africaines dans des écrits, est le Père Labat qui l'a décrit en Martinique en 1694 dans l'un de ses ouvrages : « Les danseurs, hommes et femmes forment un cercle et sans remuer ils ne font rien que lever leurs pieds dans l'air et frappent le sol avec une sorte de cadence, tenant leurs corps penchés vers le sol, chacun en face l'un de l'autre. ».
L'une des danses de l'époque les plus connues est le calenda. Le calenda était une danse vive et animée, que l'on retrouvait dans l'Amérique du Nord et la Caraïbe. Il est appelé chica à Saint-Domingue, congo à Cayenne, fandango en Espagne.
Suivant les endroits, son caractère est extrêmement voluptueux et lascif. Deux tambours, faits de morceaux de bois creux recouverts d'une peau de mouton ou de chèvre accompagnaient les danseurs alignés dans un cercle. « Sur chaque tambour est un nègre à califourchon, qui le frappe du poignet et des doigts, mais avec lenteur sur l'un et rapidement sur l'autre ». D'autres esclaves secouaient en même temps de petites calebasses garnies de cailloux ou de graines de maïs (ancêtre du maracas/chacha). L'orchestre était parfois complété par le banza.
Ces danses ont voyagé de ports en ports, durant la période de l'esclavage. Elles ont donné naissance à d'autres danses, la sarabande et la chaconne à la Havane aux 16èmes et 17èmes siècles, le calenda et le bamboula au 17ème siècle, au 18ème siècle la chica et le tango puis enfin le mambo au 19ème siècle.
Les colonies britanniques interdisaient ces danses ainsi que les langues africaines, les religions, les tambours et même les réunions publiques d'esclaves. A noter qu'à la fin de l'esclavage, dans des sociétés qui étaient très hiérarchisées, beaucoup de nouveaux affranchis ont laissé tomber ces danses considérées comme appartenant aux esclaves.