Présentation
L’histoire du café est riche en anecdotes et légendes. La plus célèbre d’entre elles en attribue la découverte à un gardien de chèvre d’Arabie du nom de Kaldi. Préoccupé par les gambades et les cabrioles de ses chèvres, il les aurait suivies un soir afin de savoir ce qui les rendait si vives. Intrigué en voyant qu’elles se nourrissaient des petites baies d’un arbuste, il en aurait mangé à son tour et aurait été envahi d’une grande hilarité. Kaldi aurait ainsi découvert l’effet de la caféine et l’aurait raconté autour de lui.
Originaire en réalité des plateaux abyssins d’Ethiopie dans la région de Kaffa, c’est au Yémen que la culture du café rencontre un franc succès aux alentours de 500 ap. J-C. Pendant longtemps l’origine du mot café a été reliée à son berceau naturel, mais c’était sans tenir compte des populations locales qui l’appelaient buunn. Le mot viendrait donc plutôt de l’arabe qahwah. Très utilisé par les derviches musulmans lors de leur prières nocturnes.
C’est par le pèlerinage à la Mecque, et les échanges qui s’y tissent, que le café va s’étendre dans tout le monde islamique (et au-delà) jusqu’au 14ème siècle. D’une simple infusion de baies séchées au soleil et bouillies dans de l’eau, le café devient, au cours du 13ème siècle, la boisson telle que nous la connaissons lorsque nait l’idée de griller et de moudre ses grains.
Au Yémen, l’oasis de Moka, aux abords de la Mer Rouge, devenue une cité florissante grâce au commerce d’épices en Orient, devient rapidement le premier port de commerce du café qui pousse dans l’arrière-pays. Des navires embarquent à leurs bords les précieuses graines de café vert à destination du Caire, de Damas ou d’Istanbul.
Préalablement ébouillantées pour éviter toute germination, le secret de la culture des caféiers reste jalousement gardé par les sultans arabes qui s’assurent le monopole de cette production jusqu’au 17ème siècle.
L’Europe commence progressivement à entendre parler du café par l’intermédiaire des marchands méditerranéens.
Le 17ème siècle marque un tournant majeur : les échanges s’accélèrent en faveur d’un commerce direct avec la cité yéménite et des plants finissent par être rapportés en Europe. L’East India Company inquiète les Hollandais. Ils rapportent en 1616 un plant de café (sans doute dérobé) à Amsterdam où il est précieusement conservé au jardin botanique. Puis, en étendant sa culture dans leurs colonies, à Ceylan (1658) puis à Java (1699) et au Surinam (1718), ils deviennent peu à peu les chefs de file de la propagation de la culture caféière dans le monde et les premiers producteurs.
Pour le café une nouvelle ère s’annonce. A la suite des premiers succès, un pied de café en provenance des cultures florissantes d’Indonésie est renvoyé à Amsterdam en 1706 où il donne naissance à de nombreux plants.
Ces derniers sont ensuite distribués aux plus grands jardins botaniques d’Europe. C’est ainsi, qu’en 1714 un jeune plant est transféré aux Jardins des Plantes de Paris où le naturaliste Antoine de Jussieu le reçoit en personne.
Dès lors, les puissances européennes souhaitent, à l’instar des hollandais, développer leurs propres plantations dans leurs colonies.
C’est à l’initiative du capitaine d’infanterie dieppois Gabriel-Mathieu de Clieu que vient l’idée d’implanter la culture du café en Martinique au début du 18ème siècle.
La première étape de ce projet a été de récupérer les plantes à Paris. Gabriel de Clieu a obtenu l’aide de M. de Chirac, médecin du Roi, qui est intervenu en sa faveur. Certains doutes entourent la suite de ce périple, en particulier concernant les dates exactes d’arrivée du café en Martinique. Certains auteurs parlent de deux voyages : Durant le premier, au départ de Rochefort en 1720 les plants de café seraient morts. Le deuxième voyage de 1723, serait celui qui est décrit dans un article publié dans l’Année Littéraire en 1774.
Embarqué à Nantes en 1723 dans une boîte couverte d’une plaque de verre pour retenir la chaleur nécessaire à leur survie, voilà les caféiers entraînés dans une véritable épopée. Après avoir échappé aux sabotages d’un matelot jaloux du futur succès du capitaine, les fragiles caféiers et le navire affrontent une attaque de pirate avant d’être pris dans une tempête durant laquelle l’équipage est contraint de jeter par-dessus bord l'excédent d’eau douce. Le vaisseau est ensuite immobilisé dans la mer des Antilles par manque de vents et l’équipage comme les arbustes manquent d’eau. Mais pour honorer sa promesse au Roi, Clieu aurait alors partagé sa maigre ration d’eau avec les plants de café. A leur arrivée au port de Saint-Pierre, les pieds ont été plantés dans la propriété du capitaine, à Prêcheur, où ils se sont rapidement multipliés.
Après avoir résisté au tremblement de terre qui frappe l’île en 1727 et détruit la majorité des cacaoyers, la culture du café se répand en Martinique et des pieds sont fournis à la Guadeloupe et à Saint-Domingue, initiant ainsi la culture caféière dans les Antilles et plus largement dans les Caraïbes.
En un siècle, cette culture s’étend à toutes les zones tropicales de la région.
Ces nouvelles plantations ne sont pas toujours le fait des pouvoirs coloniaux, il s’agit aussi, souvent, de voyageurs, de marchands ou de missionnaires qui ont apporté des graines avec eux dans ces nouvelles régions.
Le nombre de cafés se multiplie rapidement à travers toute l’Europe. A la fois antre des jeux, des mauvais coups, et des mœurs légères, les cafés sont aussi des lieux importants de la vie publique, et attirent le fleuron de la bonne société et surtout « les beaux esprits du siècle ».
Proust, Musset ou George Sand s’attablent au célèbre Florian de la place Saint- Marc, Chateaubriand et Stendhal au café El Greco de Rome. Ces cafés sont des lieux où la littérature et la philosophie sont « dans l’air ». Mais ces philosophes oublient qu’il est produit par le travail forcé de milliers d’esclaves et il est assez paradoxal que le Siècle des Lumières soit aussi, en même temps, celui de l’esclavage. Le café est en effet un des produits qui a le plus stimulé le développement de la traite négrière et permis l’enrichissement des grands ports atlantiques au détriment de la vie de centaines de milliers d’êtres humains.
L’exploitation nécessitait des bâtiments moins considérables que ceux des sucreries mais de nombreuses constructions en dur étaient malgré tout érigées dans les “caféteries”. Le reste de la propriété étant dédié à la culture des caféiers et aux cultures vivrières censées assurer l’autosuffisance de « l’habitation ».
Parmi les constructions, la grande bâtisse située en position dominante constituait la demeure du maître et de sa famille. Souvent dotée d’une multitude de balcons, cette maison donnait la possibilité au planteur d’avoir l’œil partout et incarnait le principe de surveillance permanente qui régnait dans ces plantations.
Non loin se trouvait le quartier des esclaves constitué d’un ou deux bâtiments en dur divisés en petites cases et un hôpital qui pouvait servir à l’occasion de prison. En effet la question du contrôle des esclaves était essentielle. Sévices physiques, mutilations, scènes d’humiliation et terreur psychologique faisaient partie de l’arsenal déployé dans ces cultures de café pour “gouverner” les hommes.
La préparation du café comportait diverses étapes. Après la récolte des baies sur les arbustes, un « moulin à grager » actionné à la main par des esclaves était utilisé pour les « déceriser ». Les grains étaient ensuite lavés dans un bassin où les impuretés étaient entraînées par une eau courante avant d’être égouttés. Venait ensuite l’étape du séchage.
Les grains « en parchemin » étaient étalés sur de grandes terrasses créées à cette occasion à proximité de la maison du maître. Puis les grains passaient au « moulin à piler » dont la roue verticale détachait les parchemins sans écraser les fèves. On utilisait enfin un « moulin à vanner », dont la soufflerie faisait s’envoler les parchemins, avant de trier les grains sur de longues tables et de les mettre dans de grands sacs de toile prêts pour le long voyage qui les attendait.
La dernière étape de torréfaction n’était pas réalisée sur le lieu de production mais dans les lieux de vente. Un corps d’artisans-torréfacteurs s’est alors structuré en Europe. Chaque famille avait son propre savoir-faire et produisait un café aux saveurs subtilement différentes de celles des autres artisans.
L’esclavage est enfin définitivement aboli en France en 1848.
Cette abolition eut un impact majeur sur la production de café car toutes les productions étaient basées sur le travail forcé des esclaves. Mais elle va survivre avec une autre organisation du fait de la forte demande mondiale.
En effet, au 19ème siècle sa diffusion se généralise en Europe et en Amérique du Nord, où il devient même la boisson nationale des Etats-Unis, en opposition au thé anglais.
Le café est devenu un produit planétaire et la diminution de son coût lui permet de devenir une boisson populaire, très appréciée pour sa tonicité, en particulier dans le milieu ouvrier. La cafetière placée en permanence sur la cuisinière à charbon, pour en préserver la chaleur toute la journée, fait désormais partie du décor traditionnel des maisons ouvrières, en particulier dans les régions minières. L’arrivée de la cafetière en émail, accessible à tous, constitue un symbole marquant de cette démocratisation.
Face à cette augmentation de la demande mondiale on avait déjà assisté au 19ème siècle à un processus de « continentalisation » de cette production qui était jusque-là essentiellement insulaire.
Les vieux foyers antillais connaissent eux des difficultés mais la caféiculture ne disparaît pas totalement et la production est assuré au XIXème siècle grâce à l’immigration indienne qui vient remplacer la main d’œuvre des anciens esclaves, et qui va ajouter des nouvelles influences culturelles dans ces îles. De nos jours, la qualité de certains cafés demeure prestigieuse mais elle a perdu le poids économique qu’elle a eu dans la production mondiale.
Le café étant très profondément ancré dans les habitudes de consommation, les industriels n’ont eu de cesse, depuis, de proposer des machines de plus en plus perfectionnées pour en faciliter la préparation, tout en en préservant les arômes. De la cafetière traditionnelle en émail aux distributeurs automatiques dans les immeubles de bureaux ou dans les gares, en passant par les machines pour expresso, le café est aujourd’hui présent partout.
En Martinique la production de café, l’Arabica Typica, grand cru mondialement recherché, avait été remplacée par celle de la canne à sucre sur la plus grande partie de l’île au début du 19ème siècle.
Le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) contribue actuellement à la renaissance d’une filière caféicole haut de gamme à partir de cette variété dans le Parc naturel régional qui regroupe 32 des 34 communes de l’île. Les premières plantations, qui concernent 4 Ha (sur un projet de 50 à 100 Ha), avec 10 Planteurs, à partir de 10 000 boutures, devraient commencer à être récoltées à partir de 2020.
En Guadeloupe beaucoup de caféiers ont disparu aussi peu à peu mais la quantité a été remplacée par la qualité. Sa variété, le café « bonifieur » (celle qui avait été introduite par le Capitaine de Clieu et qui était utilisée autrefois pour rehausser le goût d’autres variétés, d’où son nom) est mondialement reconnue parmi les « cafés gourmets » pour son goût unique.
La production locale tente de se relancer depuis quelques années par des coopératives regroupant des petits producteurs.
A Sainte-Lucie beaucoup de plantations de café ont été fermées au cours des dernières années (comme celles des autres productions de l’île).