Présentation
« Tant de larmes ont été versées pour le sucre qu’il aurait dû à vrai dire en perdre sa douceur »
La canne à sucre est connue depuis la Préhistoire. Ce « roseau sucré » originaire du Sud-Est asiatique a constitué pendant longtemps l’une des principales sources de saveur sucré au monde. Cultivé très tôt pour le goût si apprécié des petits cristaux obtenus à partir de ses tiges, sa diffusion a transformé la face du monde.
Commerce, échanges et voyages amènent la canne à sucre en Inde, en Chine puis au Moyen-Orient. Les conquêtes arabes du VIIème siècle achèvent son acheminement en Méditerranée où sa culture se développe. Les Portugais et les Espagnols qui ont colonisé respectivement Madère (1420) et les Canaries (1480) y multiplient les plantations de canne à sucre, faisant des « îles bienheureuses », un malheureux terrain de répétition pour les futures plantations basées sur l’exploitation des populations autochtones puis des esclaves.
Quelques années plus tard, lors de son second voyage, en 1493, Christophe Colomb introduit sur l’île d’Hispaniola (Haïti) des plants de canne à sucre venus des Canaries.
L’arrivée des Européens en Amérique va déclencher ensuite l’essor fantastique de l’économie sucrière dans la Région, car le sucre devient une denrée luxueuse toujours plus appréciée.
Réduites en esclavage, les populations autochtones servaient de main d’œuvre dans ces nouvelles plantations, marquant de manière irrémédiable l’organisation du travail dans les Antilles.
Entre le XVIème siècle et le XVIIème siècle, tous les territoires colonisés par les européens finissent par se couvrir entièrement de plantations de canne, de moulins et de sucreries. L’initial monopole brésilien, soutenu par l’occupation hollandaise et le recours massif à la traite négrière, laisse place au milieu du XVIIème siècle à l’essor extraordinaire de la production aux Antilles.
L’émigration des juifs portugais du Brésil et la fuite des Hollandais ne sont pas étrangères à ce changement brutal.
L’arrivée aux petites Antilles de ces anciens planteurs et commerçants, très au courant des dernières avancées technologiques, fins connaisseurs de ce grand commerce et habiles financiers, dynamise la production dans l’arc antillais.
Aux premiers jours des « îles à sucre », les « engagés » européens travaillent aux côtés des premiers esclaves noirs. Mais la rentabilité du commerce du sucre, liée à l’engouement que provoquent les nouvelles boissons exotiques (le chocolat, le café et le thé), entraîne un nouveau bouleversement.
A la fin du XVIIème siècle, le développement des plantations a pour effet immédiat l’organisation et l’intensification de la traite négrière et l’africanisation des champs de canne à sucre.
Le modèle de la plantation sucrière esclavagiste adopte sa forme classique et se généralise.
Le modèle classique de l’habitation sucrière comporte trois espaces principaux : les champs de plantations de la canne, les moulins et la sucrerie. L’ensemble créait un village autonome où les grandes demeures des planteurs surplombaient les quartiers des esclaves.
Les esclaves étaient répartis selon leurs capacités présumées aux différentes activités. Le travail aux champs figurait parmi un des plus pénibles et était encadré par des contremaîtres et leurs fouets. Des animaux de trait acheminaient les cannes coupées dans les moulins (à eau ou à vent) où elles étaient broyées pour en extraire le jus avant qu’il ne soit apporté dans les sucreries pour y être évaporé. Le sirop ainsi obtenu était ensuite chauffé afin de cristalliser et donner le fameux sucre.
Les « Codes Noirs » sont rédigés pour établir les règles qui entourent l’usage de ce « bien » particulier qu’étaient les esclaves africains (repos le dimanche, normes d’alimentation et barème des mutilations et sévices admises en fonction de la durée de la fuite ! Voir le texte du « Code noir » dans les « Documents »).
La fin du XVIIIème siècle signe l’avènement de la « révolution agricole » qui consiste à la mise en culture des polders (ces étendues de terres gagnées sur l’eau). Cependant, le boom tant espéré de la production n’a pas lieu. Il faut attendre 1804 et le rétablissement de l’esclavage et 1809 et l’occupation du territoire par les Portugais détenteurs d’un savoir-faire, de techniques et de financements, pour que l’économie sucrière de Guyane connaisse un développement important.
L’île anglaise de la Barbade se convertit en avant-garde des colonies sucrières, suivie par la Martinique et la Guadeloupe dans lesquelles la production de sucre va supplanter celle du tabac.
Au XVIIIème siècle, c’est l’apogée du système. Le sucre se retrouve à la base de l’expansion du commerce colonial triangulaire et de l’enrichissement des métropoles. Il régale les palais d’une part toujours plus importante de la population européenne. La production sucrière française (dominée par Saint-Domingue) surpasse celle des colonies anglaises (de la Grenade, de la Jamaïque, d’Antigua et des îles de St Kitt et Nevis).
L’importance croissante des complexes sucriers donne lieu à une ardente concurrence qui débouche sur de nombreuses guerres au cours desquelles les territoires caribéens passent des mains d’une puissance à une autre.
A la fin du XVIIIème siècle les esclaves composaient 90% de la population du nord de Grande-Terre en Guadeloupe. Mais ce système est loin d’être accepté par tous. Si les esclaves ont toujours exprimé leur résistance par le marronage, des rébellions et des suicides, la fin du XVIIIème siècle se veut morale et les dénonciations se multiplient au cœur même des Métropoles annonçant le XIXème siècle et les processus d’abolitions qui vont l’accompagner.
L’industrie sucrière connaît un dernier essor fulgurant au XIXe siècle.
L’introduction de la machine à vapeur au XIXème siècle permettra ensuite de continuer cet essor en augmentant les surfaces de culture. L’île anglaise de la Barbade se convertit en avant-garde des colonies sucrières, suivie par la Martinique dans laquelle la production de sucre va supplanter celle du tabac.
Pendant cette crise du système esclavagiste confronté enfin aux processus d’abolition, la production sucrière se modernise grâce à de nouvelles innovations. La vapeur fait son entrée triomphante dans les différentes étapes de production, mais l’esclavage ne cesse pas tout de suite : il entre simplement pour un temps dans la clandestinité…
Malheureusement la fin réelle de l’esclavage finit par entraîner en fait l’exode des anciens esclaves des plantations, remplacés dès le milieu du XIXème siècle, par des travailleurs peu payés mais sous contrats venus d’Asie (principalement des indiens et des chinois). Les anciens esclaves se retrouvent sans rien.
Cependant, les innovations technologiques et ce nouvel apport de main d’œuvre bon marché ne suffisent pas à enrayer la crise que connaît l’économie de la canne à sucre au XXème siècle, déjà affaiblie par la concurrence de la betterave sucrière.
De nos jours la culture de la canne à sucre se maintient dans les Antilles, mais la plupart des plantations qui restent sont menacées car la production exigerait des installations plus modernes.
Parmi les sources consultées
Le Sucre : une histoire douce-amère, Elizabeth ABBOTT, Fides, 2008
Le sucre de l’Antiquité à son destin antillais, ouvrage collectif, Ed du CTHS, 2000
La route du sucre du VIII au XVIII siècle, ouvrage collectif, Ibis Rouge Editions, 2000
Histoire du sucre, Jean MEYER, Desjonquères, 1989
Évolution et adaptation des industries sucrière et rhumière en Guyane, XVIIe-XXe siècle, Nathalie CAZELLES,
Documents
Gravure, Raffinerie sucrière aux Antilles, Histoire générale des Antilles habitées par les françois, vol. 2, J-B du Tertre, 1667, Paris (BNF) Disponible sur : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k98223993/f5.image
Los ingenios : colección de vistas de los principales ingenios de azúcar de la isla de Cuba : dedicado a la Real Junta de Fomento, Justo Germán Cantero et Eduardo Laplante, 1857, Madrid (Biblioteca nacional) Disponible sur : http://bdh-rd.bne.es/viewer.vm?id=0000013976&page=1
Le Code noir ou Edit du Roy. 1685.